Les 09 et 10 novembre 2016, certains membres du G3i ont été invités à participer en tant que porte-parole de leurs ONG respectives, lors de la session annuelle du Conseil de l'Europe sur "La dimension religieuse du dialogue interculturel". 

 

Le rôle de l’éducation dans la prévention de la radicalisation conduisant au terrorisme et de l’extrémisme violent
Intervention de Michel Aguilar, Représentant de la Conférence des OING du Conseil de l’Europe. 

Mesdames et Messieurs,
La mondialisation et l’internet s’affranchissent des frontières au point même de mettre à mal, parfois, les bases de l’Etat westphalien. En effet, les géants de la toile rassemblent plus de clients que les Etats ne comptent de population, génèrent des chiffres d’affaire que les fiscalités nationales ne peuvent atteindre. Cela déséquilibre les poids relatifs des Etats et des géants de la révolution numérique, déséquilibre qui se manifeste notamment en matière de gouvernance et qui met donc en difficulté les législations domestiques.

Ce prisme d’observation donne l’impression que la mondialisation n’en finit pas de poursuivre une oeuvre de standardisation du monde. Or, depuis 20 ans, 20 milles kilomètres de frontières, de murs et de palissades ont été érigés à travers le monde. Ce second prisme d’observation prouve que l’irréversible mondialisation suscite des crispations locales qui se manifestent non seulement géographiquement mais aussi par des réaffirmations identitaires via les cultures et les religions, certaines de ces réaffirmations constituant le socle de développement des populismes qui contaminent les sociétés européennes.

Nous assistons donc au télescopage entre d‘une part la mondialisation transfrontière et d’autre part les replis identitaires. Parmi les effets multiples de ce télescopage notons tout particulièrement les atteintes aux droits fondamentaux (technologies émergentes et mise en péril de la dignité individuelle), les atteintes à la démocratie (nivellement des campagnes électorales par le bas, abstentions massives aux élections) enfin les atteintes à l’Etat de droit (contestation des juridictions nationales par les géants technologiques et rétrécissement des libertés individuelles et associatives par les pouvoirs populistes locaux, régionaux et nationaux). Cette situation révèle deux conséquences majeurs : la perte de vue de ce qui reste permanent et la difficulté d’intelligibilité de la situation globale. Je m’en explique :

Une caractéristique importante de ce télescopage de la mondialisation qui se joue des frontières avec les replis identitaires tient au fait que les nouveautés en matières de communications, de transports, de vie professionnelle, de modes relationnels entre les individus et de perspectives de santé publique à l’ère du tout numérique, se succèdent à un rythme qui ne laisse pas le temps aux citoyens d’intégrer le nouveau dans le déjà connu, ce qui donne la sensation que le déjà connu est disqualifié avant même d’avoir eu la chance d’interpréter le nouveau. Or, c’est un processus de survie – donc un donné biologique – le nouveau capte toute l’attention au détriment de ce qui reste stable, de ce qui perdure. La perte de contact avec ce qui reste stable, et présente une certaine permanence – comme par exemple le primat des valeurs fondamentales – est anxiogène et engendre au sein des populations une sincère quête de sens dont toutes les religions et tous les mouvements philosophiques peuvent témoigner.

Cette angoissante aspiration à établir du sens ouvre la porte, chez les plus fragiles, au nihilisme annoncé en son temps par Nietzsche. Des cyniques instrumentalisent ces personnes fragiles, les menant d’étape en étape de l’extrémisme à la radicalisation puis au terrorisme. L’argument central et fallacieux de cette instrumentalisation est le rejet de ce monde et l’obéissance à Dieu. On voit ici le contraste quasi oxymorique entre d’un côté la mondialisation marquée par le rythme débridé des innovations qui éloignent le regard de ce qui reste stable et de l’autre côté le besoin de revenir à l’antique, à la pureté fantasmée des commencements, en tant que repère ultime. C’est à l’intérieur même de cet oxymore que la société civile est à la fois mise en tension par la difficulté d’intelligibilité de la situation globale pour les raisons que j’évoquais plus haut. Les familles, absorbées par toute sortes d’urgences quotidiennes ont peu ou pas d’accès à une information éclairante au-delà du factuel déversé en boucle.

Dans ce cadre, il revient à la société civile organisée de résister de manière responsable. Qu’est-ce à dire ? 

Il ne s’agit évidemment pas de résister à la mondialisation. Non. Il s’agit de résister aux tentatives de mise sous le boisseau des valeurs fondamentales, de résister au déni de dignité individuelle qui n’est pas un octroi mais un donné, de résister au déni de la primauté du droit sur les compromissions, bref de réaffirmer sans cesse par le discours et par les actes, les valeurs qui constituent l’essence même du Conseil de l’Europe.

Alors éduquer pour prévenir les radicalisation, cela s’entend dans deux directions principales. Premièrement, éduquer dès le jeune âge et tout au long de la vie aux valeurs fondamentales, au principe de l’Etat de droit et à la diversité. En la matière, la Conférence des OING du Conseil de l’Europe produit régulièrement des formations appropriées et efficaces. Je cite pour mémoire le guide des bonnes pratiques de la société civile, l’éducation aux droits de l’Homme dès l’école élémentaire, l’éducation à la diversité dès l’école élémentaire, le dénommé tool kit de la Conférence de OING, la formation à l’interconvictionnalité et d’autres outils encore sans oublier le livre blanc du dialogue interculturel qui constitue le pivot de cet ensemble. Deuxièmement, il s’agit aussi d’éduquer dans le sens de fournir à toutes et tous des éléments d’intelligibilité de la situation. Nombreux sont celles et ceux que l’arrivée de réfugiés, les attentats meurtriers et la montée des populismes désespèrent et détournent de la dimension politique de la citoyenneté dont nous sommes tous porteurs. La fréquentation assidue des colloques montre de manière criante le manque d’accès des populations aux éléments d’intelligibilité des situations. Exposer les souffrances de l’islam qui se déchire de l’intérieur au Moyen-Orient, exposer les processus qui mènent au fanatisme, mettre en lumière le fait qu’en Europe les populismes nationaux fondés sur les constructions historiques de chaque pays ne sont pas identiques et parfois même s’excluent les uns les autres mais progressent à l’unisson pour des raisons qu’il est aisé de résumer, tout ceci permet à chacun de se construire une représentation mentale cohérente de la situation globale, élément déterminant pour résister avec responsabilité, c’est-à-dire décoder et anticiper les déviances en mettant en lumière les inaperçus.

On le voit, il ne s’agit pas là de juger à l’aune d’une morale ou d’une autre mais d’éclairer, de donner aux événements les lignes de cohérences d’une situation complexe que l’information factuelle et continue ne peut fournir. Ainsi, éduquer aux valeurs et fournir de l’intelligibilité sont deux processus évidemment complémentaires qui entretiennent la dignité individuelle et qui contribuent substantiellement à la prévention au sein même des familles contre les dérives extrémistes. Comprendre n’est évidemment pas synonyme de souscrire. On peut comprendre les mobiles d’un conflit sans pour autant les ratifier. C’est à l’acquisition de cette compétence de promotion des valeurs et d’intelligibilité du contemporain que la société civile organisée avec tous les acteurs et mouvements de pensée continue de s’efforcer.

Je vous remercie.