Les convictions sont un des moteurs de l’action humaine et sont de ce fait au cœur de la réflexion et des actions du G3i qui milite pour que les porteurs de convictions puissent dialoguer et faire émerger un consensus interconvictionnel sur les questions d’actualité. Mais qu’est-ce qu’une conviction? Comment nait-elle? Comment savoir si nos convictions sont partagées ou si elles ne reflètent que nos pensées ? De ce fait toutes les convictions se valent-elles ? Sont-elles tolérables ?

Voici quelques pistes de travail pour permettre de les aborder…

Quelques définitions d’après Bernard Quelquejeu

D’une façon générale, l’esprit humain se reconnaît capable de poser un « acte-de- tenir-pour-vrai » (Fürwahrhalten) : en français, il n’existe pas de substantif exactement équivalent ; la meilleure expression serait le terme cartésien de créance (au sens de recevoir-en-sa-créance), malheureusement vieilli, ou assentiment qui a l’inconvénient d’amoindrir l’engagement de la volonté dans l’acte de créance.

- La créance se nomme CONVICTION (Überzeugung) quand elle est tenue pour valable pour chacun et que son principe est objectivement suffisant.
- La créance se nomme PERSUASION (Überredung) quand son fondement n’est que dans la particularité du sujet.

- Celui qui prend sa simple persuasion pour une conviction est dans l’illusion (Schein).

La pierre de touche grâce à laquelle nous distinguons si une croyance est une conviction ou seulement une persuasion consiste dans la possibilité de communiquer sa croyance et de la juger valable pour la raison de tout homme, car alors il est à présumer que la cause de la concordance de tous les jugements, en dépit de la diversité des sujets, repose sur un principe commun, à savoir l’objet de la croyance. Je ne puis affirmer, c’est-à-dire exprimer comme un jugement nécessairement valable pour chacun, que ce qui produit la conviction. Je garde pour moi ma persuasion, si je m’en trouve bien, mais je ne puis, ni ne dois la faire valoir hors de moi.

La CREANCE, ou la valeur subjective du jugement dans le cas de la conviction, présente trois degrés : l’OPINION (Meinen), la FOI (Glauben), le SAVOIR (Wissen).
- L’opinion est une croyance qui a conscience d’être insuffisante aussi bien subjectivement qu’objectivement.
- La foi est une croyance qui est subjectivement suffisante, mais qui est en même temps tenue pour objectivement insuffisante.
- Le savoir nomme une croyance qui est suffisante aussi bien subjectivement qu’objectivement.
- La suffisance subjective est nommée conviction (pour moi-même) ;
- La suffisance objective est nommée certitude (pour tout le monde).

Ce n’est jamais que sous le point de vue pratique, celui de l’action, que la créance, insuffisante du point de vue théorique peut être appelée foi. Le point de vue pratique se subdivise en deux :

  • celui du savoir-faire, qui se rapporte à des fins contingentes : on pourra parler de « foi pragmatique » lorsqu’on ne connaît pas d’autres moyens pour atteindre le but qu’on s’est proposé ;

  • celui de la moralité, qui concerne les fins nécessaires : on parlera alors de « foi morale » . Elle est aussi inébranlable que mes principes moraux fondamentaux. Comparée à tous les types de créances ou de convictions, la foi morale est la plus achevée.

Comment acquérons-nous nos convictions ? Qu’en faisons-nous ?

Cette acquisition et la manière de s’appuyer sur nos convictions pour agir se font dans des lieux différents que le G3i a analysés comme suit :

- type 1 : lieux de l’établissement des convictions et de leurs expressions :
 Ce sont des lieux qui permettent de passer de la persuasion héritée ou reçue à la conviction réfléchie : Ce sont des lieux de formation, de libération des préjugés et d’émancipation. Des lieux dans lesquels s’acquiert jugement personnel et intériorisation. Il s’agit de lieux de formation (école universités), des associations, des groupes de conviction, des groupes de réflexion, les loges maçonniques, de mouvements de jeunes, que ce soit au sein des Eglises, ou des mouvements non-confessionnels, etc...

- type 2: lieux de passage des convictions aux positions communes et de leurs expressions

Il s’agit de lieux permettant la confrontation des convictions pour mettre en évidence des convictions partagées et élaborer des positions communes pour des problèmes de société devant éventuellement faire l’objet d’une gestation politique. Ce sont des lieux de génération de lien social, d’élaboration de compromis dans l’attention à l’autre. Il s’agit de lieux où se fait la prise de conscience de responsabilité collective et de la citoyenneté.

Il faut noter que le mot opinion exprimant une conviction non nécessairement réfléchie et non nécessairement partagée a été supprimé pour ne garder que le vocable position commune, qui montre l’aboutissement d’un processus de réflexion collective.

Les lieux de type 2 ressemblent beaucoup aux lieux de type 1 : Si les lieux de type 1 concernent essentiellement les aspects individuels, les lieux de type 2 concernent les aspects collectifs. Ces deux aspects étant fortement couplés et interactifs, il est difficile de distinguer nettement ces deux types de lieux
- type 3 : lieux de passage des positions communes aux propositions « opératoires » et de leurs expressions

Ce sont des lieux de « rassemblement » et de débat des positions issues des divers lieux de type 2 sur une question donnée pour aboutir à des propositions opératoire dans le champ de la politique ou de la gestion d’activités d’intérêt commun
Ces lieux peuvent être des groupes comme le G3i, des commissions nationales ou internationales (comme les commissions d’éthique), des conseils, des think tanks, etc..

Deux approches sont nécessaires :

- une approche de « haut en bas » (up-down)

Dans ce cas, l’initiative vient des responsables politiques ou des gestionnaires. Ils créent une commission pour leur faire des propositions opératoires sur l’objet de la commission. Les exemples sont nombreux. C’est en particulier le cas de la mise en œuvre de l’article 17 au niveau de la commission européenne

- une approche de « bas en haut » (bottom-up)

Dans ce cas, l’initiative vient d’en bas, des associations et groupes. Il n’existe que très peu de lieux de ce type et surtout très peu de moyens d’interpellation des dirigeants (sauf peut être pour les lobbies). Dans le domaine social, c’est le rôle des syndicats, mais dans les autres domaines, il n’y a quasiment rien. C’est toute la question des contre-pouvoirs. Il existe parfois des consultations citoyennes dans certains pays.

- type 4 : lieux de présentation des propositions « opératoires » aux responsables concernés (politiques ou autres).


Ce sont des lieux d’acceptabilité d’une proposition ou s’exerce l’art du possible. Ces lieux peuvent être de différentes natures:

- lieux de pression des Lobbies, groupes de pression qui cherchent à faire valoir leur intérêt propre.
- lieux de présentation de propositions élaborées collectivement, par exemple dans des commissions ou des groupes de travail parlementaires.

Ici encore, on voit qu’il y a un fort couplage entre les lieux 3 et 4

- types 5 : lieux de prise de décision politique

Les gouvernements et les parlements, par exemple

En conclusion, apparaissent en fait deux grandes classes de lieux qui sont distinguées par le caractère opératoire de leur production. :
Les lieux 1 et 2 sont des lieux de la réflexion libre, sans contrainte pratique. Ils ne sont pas nécessairement démocratiques (par exemple école)
Les lieux 3 et 4 sont des lieux de la prise en compte des contraintes pratiques et donc de l’émergence de propositions faisables ou réalistes. Ils doivent être démocratiques, permettre une élaboration démocratique et s’appuyer sur une reconnaissance des contraintes (financières, techniques, etc.)
On note que dans la démarche des lieux 1 à 4, il y a une socialisation croissante, et une émergence de la citoyenneté.

Ces démarches peuvent se faire le plus librement et efficacement possibles dans le cadre de la laïcité. Qu’est-ce que ce que recouvre ce mot « barbare » intraduisible en anglais et que le Conseil de l’Europe traduit par laïcity ?