La rencontre sur "La dimension religieuse du dialogue interculturel" du Conseil de l'Europe s'est tenue cette année du 2 au 3 septembre à Erevan, en Arménie et portait sur "La liberté de religion dans le monde d'aujourd'hui: défis et garanties". 

 

Vous trouverez ci-dessous les discours de certains membres du G3I qui y interviennent en tant que représentants de leurs organisations/associations dotée du statut participatif auprès du Conseil de l'Europe. 

 

Intervention de Michel Aguilar 

 

Comité des Ministres du Conseil de l’Europe,

Rencontres annuelles sur

La dimension religieuse du dialogue interculturel

Erevan 2 & 3 septembre 2013.

Liberté de religion dans le monde d’aujourd’hui :

défis et garanties.

 

Messieurs les Ministres,

Madame la Représentante du Secrétaire Général,

Eminences,

Mesdames, Messieurs,

Cher(e)s Ami(e)s.

Tout d’abord, permettez-moi de relayer ici le message de gratitude que les dignitaires du

bouddhisme en Europe adressent au Comité des Ministres qui convie le représentant des

bouddhistes d’Europe à ces rencontres pour la troisième année. Que les autorités

arméniennes qui nous reçoivent si généreusement soient également remerciées.

Que l’on soit simple citoyen européen ou en charge de responsabilités civiles ou

religieuses, lorsque l’on prononce ‘‘liberté de religion’’, pense-t-on tolérance… sousentendu

sous surveillance, acceptation… sous-entendu sous caution, pense-t-on respect

ou pense-t-ton sincèrement reconnaissance d’une pleine et entière liberté au bénéfice

d’une conviction autre que la sienne ?

Les mutations contemporaines du paysage religieux sont sans précédent et relèvent de

l’inouï. Des lieux de pratique dédiés à des cultes historiques sont vendus, voire démolis

tandis que le paysage est ponctué de bâtiments aux architectures plus inattendues

abritant des cultes récemment importés d’Orient : mosquées, temples hindouistes,

pagodes et temples bouddhistes. Parallèlement, des salles polyvalentes, louées ou

prêtées hebdomadairement, abritent d’autres cultes venus de l’Ouest. L’offre des

croyances se diversifie faisant exploser le fait religieux au point que des esprits piquants

la perçoivent comme un marché des cultes. C’est une situation en rupture car ces

religions faussement qualifiées de ‘‘nouvelles’’, sont passées du stade de présences à

peine repérable dans l’espace public à celui de religions institutionnalisées1. C’est inédit.

1. Défis et garanties sont les deux faces d’un même processus, citons trois évolutions à

l’oeuvre sous nos yeux :

Lorsque des organisations religieuses ont partie liée avec le pouvoir politique (l’actualité

rappelle cruellement que cela concerne aussi les bouddhistes), les minorités religieuses

locales ne bénéficient pas d’un accès égalitaire aux prérogatives de la religion dominante.

C’est un défi pour l’implantation de la démocratie substantielle ; c’est la garantie de

tensions systémiques qui, tôt ou tard, tireront partie d’une brèche pour, au mieux se

manifester rudement, au pire se retourner contre leurs oppresseurs.

La prolifération de mouvements religieux uniquement axés sur le fait de redonner

espérance aux déshérités, contraint les religions ayant transmis sans interruption des

traditions multiséculaires, voire multimillénaires, à réajuster sans cesse la balance entre

protection de leur précieuse tradition et adaptation au monde qui mute. Défi : la

surenchère d’espérance ; garantie : une recherche aussi juste que possible du balancier

entre tradition et contemporanéité.

L’essaimage de mouvements autonomes d’orientations religieuses ou syncrétiques de

type ‘‘mode de vie pour classes moyennes supérieures’’, pose la question des rapports

que ces communautés urbaines, sincères dans leur foi, souhaitent entretenir ou non avec

les mouvements confessionnels organisés, et plus largement avec la société civile. A

l’heure où toutes sortes de minorités revendiquent des statuts égalitaristes, on peut

redouter le défi de la ghettoïsation. La garantie : la stimulation des organisations

religieuses historiques à constamment revenir au coeur de leur corpus pour se centrer sur

leurs messages essentiels.

2. Liberté de religion

Une liberté substantielle se conçoit-elle sans contrainte ? Si non, où placer les contraintes

pour garantir la liberté de religion ? Et si la seule contrainte n’était autre que l’injonction

de perpétuation de la liberté de religion ?

Une contrainte majeure au bénéfice de la liberté de religion tient à ce que les Etats et

les religions oeuvrent solidairement à garantir cette liberté au fil du temps. La contrainte

de cette contrainte est l’engagement au dialogue multimodal, c’est-à-dire dialogue

intrareligieux, dialogue interreligieux, dialogue entre les mouvements de convictions

(confessionnels ou non), dialogue entre les religions, dialogues des religions avec les

pouvoirs publics et les autres corps intermédiaires.

La sécularisation de la société par la séparation du politique et du religieux, constitue une

clé déterminante pour la liberté de conscience et de religion. Observons tout de même

que la laïcité contribue également à l’individualisme, donc à l’autonomisation de la

personne. Il revient alors à chacune et chacun de gouverner l’individualisme avec

sagesse pour se préserver de l’égoïsme.

La séparation du politique et du religieux fait que l’Etat n’interdit ni ne favorise aucune

religion. C’est leur traitement égalitaire qui garantit la liberté de religion et, partant, la

liberté religieuse sans laquelle la liberté de religion reste incomplète.

Ces trois points : liberté substantielle, contrainte et séparation des pouvoirs,

circonscrivent un défi : l’obligation de revisiter sans cesse la dialectique entre détention

de LA vérité et cohabitation avec d’autres croyances dans des vérités alternatives à celles

que l’on porte soi-même. Si cette démarche est mal conduite ou absente, une

hiérarchisation des croyances risque de s’installer.

3. Position des bouddhistes d’Europe à propos de la liberté de religion.

En tant que religion nouvellement établie en Occident, les pratiquants du bouddhisme ont

tout à gagner de la séparation des Eglises et de l’Etat.

Non prosélytes, les bouddhistes n’ont pas à convaincre leurs congénères à la conversion

mais à encourager chacune et chacun à s’engager dans une voie spirituelle ou

philosophique qui lui convienne, la doctrine bouddhique faisant désormais partie des

possibles. Les propositions sont nombreuses, les sensibilités individuelles sont variées, à

charge pour chacun d’apprécier la voie qui lui convient et de faire crédit à autrui d’avoir

trouvé la voie qui lui correspond le mieux. Ainsi, les relations interindividuelles à propos

des croyances et incroyances n’ont aucune raison d’être violentes ni même

hiérarchisables.

Gageons que nous nous accorderons ici sur le fait que l’acuité avec laquelle se pose la

question de la liberté de religion rend témoignage de la souffrance qu’expérimentent de

nombreuses consciences.

4. Trois conditions à la liberté de religion.

• L’accentuation des dialogues intrareligieux pour faciliter la survenue des meilleurs

équilibres possibles entre maintien des traditions authentiques et adaptation à la

contemporanéité.

• L’accentuation des dialogues interreligieux de sorte à ce que les religions historiques

et nouvellement implantées d’une part, et les religions anciennes et plus récemment

apparues d’autre part, se dédiabolisent mutuellement, pour une plus grande fluidité

de leurs rapports. Le passage de la discussion à la conversation, lorsqu’il a lieu,

marque la transformation des rapports de réciprocité en relations de liberté

mutuellement reconnue.

• L’union des religions pour un enseignement de qualité du fait religieux au cours de la

scolarité. Il a été souligné l’an passé à Dürres que la connaissance fait reculer les

approximations et les présupposés.

En conclusion prospective :

a) Certains sociologues des religions2 parlent déjà de la société post-laïque ; l’Europe

se démarquant des autres régions du monde par l’exculturation progressive du

religieux3. Le contexte de la liberté de religion n’a pas fini de connaître des

transformations.

b) L’émiettement des diasporas a inversé le mouvement missionnaire Nord / Sud

d’autrefois, déstabilisant les imaginaires collectifs quant à la liberté de religion.

c) Etablir puis maintenir la démocratie dans une aire géographique nécessite de la

force pour protéger ce trésor contre les processus de dévoiement par

appropriation et avidité du pouvoir. Les mouvements de convictions guidés par

une éthique éprouvée ont un rôle majeur à jouer.

 

Je vous remercie.

Michel Aguilar