L’Europe, chargée d’expériences tragiques et surmontant les conflits dont elle a souffert est en train de se construire. Cette construction s’est initiée dans une aspiration démocratique. Pour être fidèle à cette aspiration, l’Europe ne peut donc se bâtir que dans les formes et les institutions de la démocratie. Cette aspiration à la démocratie dans l’ensemble des populations, en conjonction avec le processus de sécularisation, permettent l’émergence d’une laïcité de plus en plus acceptée par tous les pays de l’Europe. Cette laïcité se met et n place dans un cadre normatif constitué de trois piliers essentiels : (1) la démocratie, (2) l’état de droit et (3) les droits de l’Homme1, explicités dans la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales2 du Conseil de l’Europe, dans la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne3, droits de l’Homme repris dans la Charte internationale des droits de l'Homme
Colloque du CoGREE
(Coordinating group on Religion in Education in Europe)
"La culture, le dialogue et le Conseil de l'Europe".
Culture, Dialogue and council of Europe
Klingenthal 4- 8 octobre 2010
Conviction, Laïcité et Europe :
Position du G3i et des institutions européennes
François Becker, Président du G3i,
Secrétaire Général, représentant le Réseau Européen Eglises et Libertés
au Conseil de l’Europe
Introduction
I.1 Le contexte européen
L’Europe, chargée d’expériences tragiques et surmontant les conflits dont elle a souffert est en train de se construire. Cette construction s’est initiée dans une aspiration démocratique. Pour être fidèle à cette aspiration, l’Europe ne peut donc se bâtir que dans les formes et les institutions de la démocratie.
Cette aspiration à la démocratie dans l’ensemble des populations, en conjonction avec le processus de sécularisation, permettent l’émergence d’une laïcité de plus en plus acceptée par tous les pays de l’Europe. Cette laïcité se met et n place dans un cadre normatif constitué de trois piliers essentiels : (1) la démocratie, (2) l’état de droit et (3) les droits de l’Homme1, explicités dans la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales2 du Conseil de l’Europe, dans la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne3, droits de l’Homme repris dans la Charte internationale des droits de l'Homme4 et confirmés en 1993 dans la Déclaration de Vienne de l’ONU . Ces droits sont complétés en Europe par la charte sociale européenne.
Or l’Europe et le monde qui l’entoure subissent de profondes mutations qui provoquent de fortes « turbulences » sur ces trois piliers. De plus en plus dépendante des autres pays du monde, l’Europe est en effet devenue de plus en plus multiculturelle, multi-religieuse et multiconvictionnelle (immigration importante, délocalisations, internet…), ce qui modifie les conditions de la cohésion sociale.
Interpellant ainsi la société dans ce qui la fonde, ainsi que les personnes dans leur être profond et leurs convictions, les crises que nous vivons ne sont pas simplement sociales, économiques et financières, mais aussi culturelles, philosophiques et spirituelles. Elles induisent de profonds changements chez les personnes (désenchantement, déstructuration, disparition des certitudes, perte de repères et d’identité, manque de fiabilité de la projection sur l’avenir…) et aussi dans la société, et particulièrement dans les attitudes religieuses et convictionnelles qui nous intéressent aujourd’hui, notamment par la montée en puissance des intégrismes religieux et identitaires (par exemple accroissement des femmes portant le voile islamique et même la burqa).
La mondialisation ayant, en effet, tendance à produire une « standardisation » (individus standards), provoque un déracinement culturel et souvent religieux qui peut conduire à une réaction identitaire de renfermement et à l’intégrisme. Face à la sécularisation et au développement de la pluralité religieuse, on assiste ainsi à des revendications spécifiques à une religion qui risquent de faire naître un rapport de force pouvant conduire à une altération du droit international, notamment à propos de la liberté de conscience, de la liberté de pensée, de la liberté d’expression, de l’égalité/parité femme-homme, et à la discrimination à l’encontre de l’orientation sexuelle.
Ces changements, provoquent ainsi des remises en cause qui concernent à la fois les religions, les courants de pensée et la politique, d’où la nécessité du dialogue entre les religions, et entre les religions, les courants de pensée et les états, comme le prône le Conseil de l’Europe dans Livre Blanc du Dialogue Interculturel7 qu’il vient de publier.
On assiste ainsi à un retour des religions (en fait bien souvent à un recours aux religions), car pour les croyants, la religion fait sens selon les trois significations de ce terme : (1) le sens comme signification et interprétation, (2) le sens comme direction, orientation et perspective dégageant un horizon, enfin (3) le sens comme sensation, sensibilité, ce qui explique qu’il y a des sensibilités différentes. Compte tenu de ces diversités grandissantes, quelles valeurs partager, quelles attitudes adopter, comment s’organiser pour que chaque personne habitant en Europe puisse donner sens à sa vie, y vivre en plénitude, s’y épanouir et accomplir librement son destin ?
Ainsi, dans la construction de notre Europe, les groupes religieux et les groupes de pensée et de conviction constituent-ils des richesses, leurs contributions sont
importantes, mais leurs exigences et leurs comportements peuvent créer des obstacles dont j’en relève cinq qui concernent directement mon propos:
1) La critique institutionnelle et/ou l’« autonomisation » de nombreux croyants, sans qu’il y ait pour autant moins de croyants.
Cette autonomisation permet à Danièle Hervieu Léger8 d’écrire que « ce n’est pas l’incroyance qui caractérise nos sociétés. C’est le fait que cette croyance échappe très largement au contrôle des grandes Eglises et des institutions religieuses ». Cette constatation est cruciale, car elle montre que ces croyants, dont beaucoup pratiquent encore le culte de leur religion, ne s’estiment plus représentés par les institutions religieuses qui en retour ne peuvent plus prétendre les représenter ; cette constatation montre aussi que les institutions non religieuses ne peuvent représenter ces croyants non institutionnalisés. Cela pose les questions de la représentativité des institutions et du manque de représentation de ces croyants que j’aborderai plus loin.
2) Le renfermement de croyants « institutionnalisés » sur leur religion Ce renfermement est dû au fait que ces croyant considèrent leur religion comme seule vraie et seule source d’identité, de référence et de valeurs, renfermement pouvant aller jusqu’à la soumission aux responsables religieux. Ce renfermement conduit ces croyants à une revendication identitaire religieuse forte pouvant aller jusqu’à l’instrumentalisation de leur religion à des fins politiques tant par leurs responsables religieux que par les Etats. En conséquence, certaines Eglises ou communautés religieuses ont tendance à se refermer vers ces croyants au risque de l’enfermement communautariste et de l’accélération du processus d’« autonomisation » des autres croyants.
3) Assimilation par les responsables d’une religion, voire par l’Etat de ceux et celles qui se déclarent athées ou agnostiques9 d'une manière plus ou moins déterminée tout en se sachant héritiers de la culture issue de cette religion.
Cette assimilation provoque un malaise, pour ne pas dire plus, de ces personnes car elles se trouvent assimilés par les responsables religieux, voire par l’Etat, à l’"Eglise" ou "communauté de croyants" de cette religion, alors qu’ils ne s’en considèrent pas ou plus membres et ne se réclament pas de son culte. Ces personnes, mesurant à quel point cet héritage consciemment assumé fait partie de leur identité, veulent tirer, avec d'autres, les conséquences politiques, sociales et culturelles de cette "appartenance" d'un nouveau type, indépendamment des Eglises ou communautés religieuses.10 Constatation aussi importante
sur laquelle je reviendrai plus loin.
4) Inversement, refus de personnes athées ou agnostiques se considérant comme héritiers de la culture issue des religions chrétiennes d’accepter ’émergence de nouvelles religions et cultures. Pour ces personnes, en effet, la culture chrétienne qui a certe contribué à façonner l’Europe pendant de nombreux siècles est constitutive de l’Europe et les autres religions ou cultures « défont » l’Europe alors qu’elles l’enrichissent pourvu qu’elles s’inscrivent dans le cadre normatif des trois piliers dont j’ai parlé plus haut, point crucial que je développerai.
Ces personnes n’ont pas intériorisé la dissociation à faire entre le cadre normatif sur lequel se construit l’Europe et la manière dont ce cadre a été élaboré et institué. Nous touchons là la question de l’universalité qui transcende les religions et courants de pensée que je ne pourrais pas aborder, mais que nous discuterons à Oslo à la fin du mois au cours du Forum « Universalité des droits de l’Homme » organisé par la conférence des OING du Conseil de l’Europe..
5) Non prise en compte de l’existence d’hommes et de femmes qui se déclarent athées ou agnostiques sans se sentir les héritiers d’une culture issue d’une religion.
Beaucoup parmi ces personnes partagent une vision séculière de l’Homme, vision alternative à celle des religions et se situant délibérément en dehors de toute référence à une transcendance autre éventuellement que celle de l’être humain.
Ainsi pour que les groupes religieux et les groupes de pensée et de conviction qui constituent des richesses, puissent contribuer à la construction de notre Europe, il est essentiel de répondre à des questions suivantes pour que leurs exigences et leurs comportements ne créent pas d’obstacles à cette construction :
Comment contribuer à la construction d’une Europe cohésive dans le respect du droit, de la démocratie et des droits humains dans une telle société en mutation? Quelles valeurs partager, quelles convictions mettre en avant, quelles attitudes adopter ? Comment s’organiser pour que chaque personne habitant en Europe puisse donner sens à sa vie, y vivre en plénitude, s’y épanouir et accomplir librement son destin ? Qui a autorité pour en décider ? Qui a autorité pour parler au nom d’une religion, d’une conviction ou d’un courant de pensée? Comment les différentes convictions peuvent-elles s’exprimer et comment les groupes convictionnels peuvent-ils contribuer à la cohésion sociale en Europe ? Comment et par quels canaux les groupes convictionnels peuvent participer à la construction européenne et au développement de la citoyenneté européenne? Dans quels espaces, selon les caractéristiques de chacun d’eux, doivent se construire les propositions
réfléchies de façon interconvictionnelle qui seront faites aux instances de décisions par ces groupes interconvictionnels ? Comment ces espaces doivent-ils être mis en place et être articulés avec les instances de pouvoir politique à tous les niveaux, dans un premier temps (car il existe d’autres lieux de pouvoir, tels les pouvoirs économiques), pour que celles-ci respectent et mettent en oeuvre la liberté de pensée et d’expression, écoutent, sans en subir les pressions, ce que proposent les différents groupes convictionnels et les groupes interconvictionnels, bref pour que la laïcité se construise harmonieusement en Europe ?
C’est en grande partie pour réfléchir à ces questions que le G3I a été créé. Il donc temps de le présenter.
2) Le G3I
2.1 Objectifs et composition
Le G3I, Groupe de travail Interculturel, International et Interconvictionnel (d’où le nom G3I), est un « think and acting tank » interconvictionnel constitué en association droit français (loi de 1901). D’après l’article 2 de ses statuts, « Cette association a pour objet d’oeuvrer au développement de la citoyenneté européenne en favorisant un triple dialogue : un dialogue international, en particulier entre tous les peuples d’Europe, un dialogue interculturel, entre toutes les
formes de cultures –territoriales ou diasporiques -, et un dialogue interconvictionnel, entre les porteurs de visions du monde : athées ou fondées sur des convictions religieuses. Dans cette perspective, le G3i souhaite oeuvrer à la création de nouveaux espaces publics laïques, distincts de ceux des institutions
religieuses représentées, qui permettent le dialogue et le partage entre des personnes pouvant se réclamer d’une identité humaniste - athée ou religieuse. »
Pour ce faire, le G3i rassemble des hommes et des femmes de différents pays d’Europe, de différentes cultures, de différentes convictions religieuses, athées ou
agnostiques, membres d’associations dont la plupart sont dotées du statut participatif du Conseil de l’Europe. Il s’agit des associations ou groupement de réflexion suivants cités par ordre alphabétique et brièvement décrits en notes, afin de montrer la richesse culturelle du G3i et la diversité des convictions qu’il représente: Cercle Gaston Crémieux12, Christenrechte in der Kirche (membre du réseau oecuménique Kirche von unten13),